La première fois


Un weekend d’écriture, avec Alice et les Mots, dans un lieu agréable et ensoleillé, sur le thème Enfances.
L’idée de ce texte, c’était de parler de la première fois que l’on avait fait quelque chose. Ce qui m’est venu, c’est ma première fois à l’école. Ensuite, je me suis demandé si j’allais mettre ça sur mon blog, parce que, tout de même, je ne suis ni Flaubert, ni Sartre, ni Nathalie Sarraute, mais ça ne fait rien, c’est le résultat du plaisir d’écrire d’hier.

Atelier d'écriture

Huit heures trente. Sur le trottoir, je sens la main de ma tante qui lâche la mienne. Le niveau sonore des voix diminue, puis on se tait.
A la suite d’une cohorte de petites filles, je pénètre dans l’inconnu. Je les vois baisser la tête, l’une après l’autre et ne comprend pas ce qu’elles font. Pour ne pas me distinguer, je fais la même chose. Après coup, je comprendrai que ce geste, on le fait en passant devant cette grosse dame qu’est la directrice de l’école.
Une fille me prend la main, et nous montons l’escalier ensemble. Bruit de chaussures claquant sur les marches de bois. Jusqu’au premier étage. Odeur de désinfectant et d’eau de Javel.
Deux par deux, rangées comme des tiroirs le long du couloir. Marchions-nous au pas, ou l’ai-je inventé ? Deux par deux, nous pénétrons dans la classe.

Silence total, à peine troublé des chuchotements de petites filles qui se retrouvent.
Une dame grande et osseuse, couronnée de plusieurs coques de cheveux grisonnants, aux doigts maigres et perclus d’arthrose m’arrête.

Les autres, elles, savent où elles vont. Elles se mettent de chaque côté de leur banc, et attendent. J’entends, dans une sorte de brouillard, Madame Martin, l’institutrice, me présenter, dire que je suis nouvelle et qu’il faut être gentille avec moi. Elle m’indique une place vide. De l’autre côté du banc à deux places, voilà Colette, qui sera ma voisine et qui m’examine avec hostilité.

Nous nous asseyons. Je regarde autour de moi et vois les autres sortir leurs affaires de leur cartable. Le banc est dur sous mes fesses, et la table est trop basse pour moi.
Il ne me faut pas une heure pour avoir le dos douloureux.

On commence par une leçon de lecture et tandis que les autres ânonnent, j’ai fini depuis longtemps les deux pages du livre de lecture et n’ose pas tourner la page pour terminer l’histoire. Madame Martin me fait lire et me condamne en cinq mots : Mais tu lis très bien !
Je sens, palpables, trente paire d’yeux se fixer dans mon dos, sans sympathie aucune.
Je suis reléguée, pour le reste de la leçon de lecture, au fond de la classe, avec un vrai livre, dont je profite à plein. Je perçois à travers mon plaisir, les voix hésitantes des autres élèves, et ne sais pas encore que je vais payer ce bonheur quotidien très cher.
Je suis en effet arrivée, un an trop tard, dans une classe constituée, parmi des petites filles qui se connaissent toutes, forces et faiblesses comprises, et on ne me pardonnera jamais de ne pouvoir me couler dans le moule.

Elles découvriront bientôt mes insuffisances, l’écriture hésitante, le calcul pauvre et le manque de ce que Madame Martin appelait la propreté, une vertu cardinale que je ne possédais pas.

Colette, ma voisine, trouva vite le moyen de se venger de son insuffisance en lecture. Nous devions, en effet, échanger nos cahiers pour des corrections mutuelles au crayon bleu. Quand j’entendais le frottement de sa gomme qui effaçait ou plutôt étalait, les corrections qu’elle avait ajoutées de son gros crayon bleu, je calculais les points que j’allais perdre.

Je ne le savais pas vraiment, mais le pressentais, cette première journée annonçait de longues années d’une solitude ennuyeuse et pesante.

8 réflexions sur “La première fois

  1. poignant… bravo Claude !
    juste je mettrais un tout petit coup de crayon bleu sur la comparaison des petites filles avec des rangées de tiroirs, mais je pinaille 😉

  2. ce n’est pas gai… et la suite sera de la même eau, non ?
    je viens de me rendre compte que je n’ai aucun souvenir de ma 1ere journée d’école… et cependant je devais avoir au moins 8 ans…

    • Ben non, pas très gai. Bien que je n’aie jamais manqué de rien, je n’ai guère de souvenirs d’enfance très heureux

  3. j’aime beaucoup « la comparaison des petites filles avec des rangées de tiroirs! »
    La même chose pour moi – j’ai lu très bien et je m’ennuyais vite. Pour me préventer de courrir autour de la salle de classe, ils m’ont donné un livre aussi…
    j’ai fait semblant être stupide en arithmétique…ce n’était pas difficile…

  4. Bonjour, à la suite de votre visite sur mon blog concernant les illustrations d’Adrienne Ségur, j’ai découvert votre blog, je crois que je vais y revenir souvent
    bonne journée

  5. Quelle précision de la mémoire. Je ne me souviens pas de mes premières années d’école, sauf d’un souvenir désagréable de cours de récréation …
    Heureusement que l’école est aussi un lieu où se créent des amitiés ….

    • Merci d’tre passe, Liliane, a fait toujours plaisir ! Et tu as raison, heureusement qu’il y a les copines, encore qu’ l’cole primaire, je n’en ai pas eu beaucoup.

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